4 rivières
Une vidéo réalisée par Annabelle Iaich dans l'exposition d'Eric Giraudet de Boudemange avec Johnny Croisonnier
Entretien entre Eric Giraudet de Boudemange (artiste) et Garance Chabert (curatrice et directrice du centre d’art la villa du parc) autour de la video 4 rivieres
GC · La vidéo que nous mettons en ligne propose une visite virtuelle un peu étrange de ton exposition « 4 rivières » puisqu’elle se fait en compagnie d’un jeune homme qui active des gestes très situés dans l’espace et autour de tes œuvres. Qui est cette personne que l’on suit et que fait-elle ?
EGDB · J’ai rencontré Johnny Croisonnier lors de ma résidence sur le territoire invité par la Villa du Parc, en partenariat avec l’éco-musée Paysalp et l’Archipel Butor. Mes recherches mêlaient une plongée dans les croyances vernaculaires liées à l’eau avec l’étude des stratégies marketing des grands groupes qui exploitent les ressources naturelles régionales comme Évian et l’Oréal. Johnny est guérisseur et sourcier. Les récits de l’exposition 4 Rivières s’inspirent en partie de nos échanges et de notre collaboration autour d’un film réalisé lors de mon immersion. Dans cette visite virtuelle, Johnny remonte le fil de l’eau armé de son pendule en suivant le parcours chronologique de l’exposition. Il magnétise les œuvres et les salles pour les charger en énergie ou influencer le regard des visiteur·euse·s sur le rythme du parcours.
GC · Est-ce une commande que tu lui a passée ? Quel fût le processus ?
EGDB · À l’origine, j’avais demandé à Johnny d’opérer un rééquilibrage énergétique de la Villa du Parc inspiré par son expertise en Feng Shui et en géobiologie (l’étude ésotérique des relations de l’environnement, des constructions et du mode de vie avec le vivant). D’après son ressenti, le bâtiment de la Villa du Parc ne nécessitait pas de travail en particulier. Johnny a donc traversé l’exposition en se concentrant sur les œuvres et le matériel de médiation. Le processus fut assez intuitif, selon la manière dont les signes de l’exposition résonnèrent en lui et du taux vibratoire des œuvres mesuré au pendule. Par exemple, il me proposa de participer à la magnétisation d’un sceptre dont la main figée lui rappelait un geste vibratoire. Je l’assistai aussi sur le travail concernant les livrets d’exposition et les flyers afin que les visiteur·euse·s puissent partir du centre d’art avec une marque énergétique de l’expérience. Pour l’aider, je mis à profit mes apprentissages acquis chez une guérisseuse cajun en Louisiane lors d’une résidence en 2016.
GC · Est-ce que le sweat-shirt qu’il porte indique son activité professionnelle ?
EGDB · Pas tout à fait. Le sweat-shirt est une interprétation parodique de la collaboration récente entre Évian et Balmain taxée de green washing1. Il provient de la boutique de l’exposition, conçue comme une œuvre à part entière. La visiteur·euse peut y déguster un verre d’eau magnétisée de la marque fictive 4 Rivières avant de promener les eaux vibratoires à travers l’exposition / spa portant le nom de l’enseigne. 4 Rivières est une expérience immersive où le marketing s’empare des croyances (vernaculaires), des mythes (fontaine de jouvence) et des images inconscientes de l’eau (Gaston Bachelard, l’Eau et les rêves2). J’ai ainsi demandé à Johnny de porter le sweat-shirt floqué du logo de l’enseigne pour l’intégrer au décor corporate de l’exposition. Il endosse ainsi le costume mystérieux d’un employé du spa à la fois acteur, guide et magnétiseur ouvrant à une interprétation possible du geste magique vers la fiction.
GC · Quel est le statut de sa séance de magnétisme dans l’exposition ?
EGDB · La séance de magnétisme confère aux œuvres un supplément d’aura : celle des pratiques que Johnny a héritée de sa tradition familiale de guérisseur·euse·s alpin·e·s et de sa sensibilité contemporaine de rebouteux. Cette magnétisation se mêle à mon engagement physique dans les œuvres et à leurs représentations symboliques. Pour moi, Johnny ranime une trace de vie fantôme contenue dans l’œuvre. Je pense surtout au placenta de ma fille fossilisé par le moulage ainsi qu’aux mues inquiétantes de ma peau en silicone.
Il y a aussi quelque chose du protocole conceptuel (possiblement réplicable) consistant à contractualiser le geste magique dans l’exposition. J’avais déjà travaillé avec la guérisseuse Manon Escoffier pour une collaboration similaire lors de mon exposition personnelle aux Capucins, à Embrun.
GC · Quel est le statut de cette vidéo ? (promotionnelle, documentaire, artistique ? tout ?)
EGDB · Le film révèle une activation secrète de l’exposition.
Lorsque nous avons évoqué avec toi l’idée de faire magnétiser l’exposition, nous avons rapidement écarté l’option de demander à Johnny de réaliser ces gestes lors du vernissage, craignant de gâcher l’intimité et l’attention que requiert ce type de rituel. Nous ne souhaitions surtout pas que son intervention soit reçue par le public comme une performance avec son aspect spectaculaire dans un cadre de réception artistique.
La vidéo documente aussi les œuvres en proposant une lecture qui les lie par le geste magique. Cela renforce ma volonté de montrer l’exposition comme une boucle narrative dans laquelle tous les éléments s’agencent au gré d’un flux énergétique et symbolique. Le parcours s’inspire en effet du cycle de l’eau d’Évian, chaque salle proposant une élévation physique et spirituelle dans la montagne en partant de la fontaine de jouvence jusqu’aux gouttes originelles des cimes alpines.
Enfin, cette vidéo prend la posture ambiguë de tous les supports promotionnels et didactiques de l’exposition, prolongeant l’expérience 4 Rivières dans l’espace numérique. L’affiche ressemble à une publicité EVIAN, la feuille de salle est un pastiche de brochure de spa et l’accueil du centre d’art est transformé en boutique bien-être… L’exposition porte elle-même de multiples visages qu’il appartient aux visiteur·euse·s de démasquer. Ils jouent à la fois de la recherche de la grâce, du grotesque, de l’ironie et de l’intime.
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2 Gaston Bachelard, L’eau et les rêves, José Corti, 1942.
Guérisseur et sourcier : Johnny Croisonnier
Images : Annabelle Iaich